Do you speak novlangue ?

Le terme novlangue, contraction de « nouvelle langue », est apparu pour la première fois en 1949, dans un roman prophétique, intitulé 1984, écrit par l’auteur anglais George Orwell. Le vocabulaire et les termes qui en sont issus sont destinés à déformer la réalité par l’utilisation de mots contemporains, détournés de leur sens initial.

Par exemple, le mot « social ». Par définition, ce qui est social est collectif et profitable au plus grand nombre. Personne ne peut s’opposer à ce qui est social, c’est le terme fédérateur par excellence. Or, la novlangue lui donne un sens différent, un sens beaucoup moins séduisant, jouant sur la sensation affective du mot afin de faire passer la pilule plus facilement lorsqu’il s’agit d’annoncer publiquement des mesures impopulaires telles que des licenciements collectifs dans une entreprise. On parle alors de « plan social », expression politiquement correcte pour annoncer un programme de licenciements. Or social désignant ce qui améliore les conditions de vie, grâce à la novlangue, un plan social signifie plan d’amélioration par le licenciement. On parle aussi de productivité pour désigner les restrictions budgétaires auxquelles est souvent associée la mobilité parallèlement au plan social, mobilité désignant une mutation obligatoire vers un ailleurs pas toujours avantageux. Le mot social prend également un sens très différent lorsqu’il est associé au mot Mouvement, la formule est plus fréquemment employée au pluriel. Il n’est aucunement question de mouvements associatifs mais plutôt de mouvements perturbateurs. Ainsi les « mouvements sociaux », autrement dit les grèves qui secouent la SNCF ne sont pas des actions visant à améliorer les conditions des voyageurs, mais tout le contraire. Il s’agit de manifestations très pénalisantes pour les usagers, fréquemment menées par les « partenaires sociaux », autrement dit les syndicats, qui protestent de façon récurrente dans le but déterminé d’obtenir toujours plus d’avantages. Pas pour en faire profiter les infortunés voyageurs qui, eux, restent bloqués dans les gares, contraints de se déplacer à grands frais par leurs propres moyens s’ils veulent se rendre sur leur lieu de travail. On parle alors de trafic perturbé (c'est à dire arrêté) et de trains retardés (c'est à dire en retard).

Le but de la novlangue est de creuser une distance de plus en plus grande entre langage et réalité en modifiant la perception des choses telles qu’elles sont. Sur le principe qu’il suffit de changer le sens des mots pour modifier ou altérer le concept de ces mots. Noyer la langue française avec des néologismes qui se substituent aux mots habituels rend les gens naïfs et dépendants, de moins en moins aptes à réfléchir et à prendre des distances avec les discours politiques falsifiés et les messages subliminaux bombardés par les médias qui forment les gens et non les informent. Le langage est un pouvoir, celui qui a un vocabulaire de 5000 mots ne pense pas de la même façon que celui qui a un vocabulaire de 500 mots. Quand les mots disparaissent, ils disparaissent de notre mémoire et, peu à peu, on finit par ne plus y penser. Il faut asphyxier le pouvoir du langage en invalidant l’amorce même d’idées dissidentes, les critiques de l’État, les contradictions. La novlangue conditionne les foules pour les rendre manipulables, notamment par la télévision, instrument de propagande par excellence. À ce titre, les présentateurs des journaux télévisés sont les plus politiquement corrects de tous les hommes. Pas un mot qui dépasse, tout est propre. Dans leur bouche, la novlangue sonne comme une seconde nature, c’est du prêt-à-parler, du verbiage à faire avaler des couleuvres.

Pour comprendre la manière dont fonctionne la novlangue, voici un extrait de l’excellent livre 1984. Syme, employé au Service des Recherches et travaillant à l’élaboration du dictionnaire de novlangue, en expose les grandes lignes à son ami Winston : Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os. C’est dans les verbes et adjectifs qu’il y a le plus de déchets, mais il y a des centaines de noms dont on peut aussi se débarrasser. Pas seulement les synonymes, il y a aussi les antonymes. Après tout, quelle raison d’exister y a-t-il pour un mot qui n’est que le contraire d’un autre ? Les mots portent en eux-mêmes leur contraire. Prenez « bon », par exemple. Si vous avez un mot comme « bon » quelle nécessité y a-t-il à avoir un mot comme « mauvais » ? « Inbon » sera tout aussi bien, mieux même, parce qu’il est l’opposé exact de bon, ce que n’est pas l’autre mot. Et si l’on désire un mot plus fort que « bon », quel sens y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots vagues et inutiles comme « excellent », « splendide » et tout le reste ? « Plusbon » englobe le sens de tous ces mots, et, si l’on veut un mot encore plus fort, il y a « doubleplusbon ». Dans la version définitive du novlangue, il n’y aura plus rien d’autre. En résumé, la notion complète du bon et du mauvais sera couverte par six mots seulement, en réalité un seul mot. Le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée. À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées.

Le vocabulaire subversif de la novlangue, véritable offensive sur le langage, est développé par une caste d’académiciens libéraux à la solde des grands patrons de l’industrie, elle a pour nom la Société du Mont Pèlerin. Cette société de pensée internationale (essentiellement européenne et américaine), à mi-chemin entre société secrète et franc-maçonnerie, est composée d’économistes, d’hommes politiques, de juristes, de philosophes, et d’historiens favorables au libéralisme et à l'économie de marché. Ils se réunissent plusieurs fois par an sur le Mont Pèlerin, en Suisse. Les thèmes qu’ils abordent sont presque toujours les mêmes, à savoir la réduction des coûts et de l’endettement des pays, la baisse des services publics, les marchés financiers et les actions sur le langage qui passent par le lavage de cerveau et la rééducation des masses. Ils font part de leurs réflexions et de leurs conseils aux puissants de ce monde pour que ceux qui détiennent le pouvoir puissent coordonner leurs efforts et mener des offensives politiques. La langue française est corrompue par les libéraux devenus dominants, ils ont le pouvoir de faire disparaître les mots qui permettent de critiquer le capitalisme. Plus de mots, plus de critique. Plus de critique, plus de révolte. L’insurrection des ouvriers est tuée dans l’œuf, eux-mêmes voient leur statut s’éteindre puisque le mot ouvrier disparaît.

La novlangue a ainsi supprimé les mots qui dérangent les bonnes consciences, elle a tout balayé. Plus de personnes âgées, ni de troisième âge, plus de vieux, ni de vieillards, encore moins de vioques, de vieilles peaux, de grabataires, de gâteux, de pépères, de mémères, de papés… place aux seniors ! Comme si, à 70 balais, on était subitement devenu sportif. Désormais dans la société, il n'y a plus d'aveugle ni de sourd, mais des non-voyants et des malentendants, terme inadéquat, malentendant sous-entend quelqu’un qui entend mal alors qu’il conviendrait de dire non-entendant pour rester cohérent avec non-voyant, la novlangue est illogique. Plus de handicapés mais des personnes à mobilité réduite. Plus d’immigrés mais des migrants. Plus d’instituteurs ni d’institutrices mais des professeurs des écoles. Plus de femmes de ménage mais des techniciennes de surface. Plus de secrétaires mais des assistantes. Plus de caissières mais des hôtesses de caisse. Plus de dactylos mais des opératrices de saisie. Plus de connards mais des personnes à intelligence modérée. Plus de Noirs ni de Magrébins mais de gens de couleur et de confession différentes. La novlangue, c'est le langage politiquement correct qui fait de ceux et de celles qui l'emploient des propagateurs assujettis et inféodés à l'annihilation de la libre pensée et de la libre expression.

 

Lexique de novlangue

et autres expressions détournées
Entre crochets : la prononciation

Accidentogène : Accidentable
Accompagner : Assister
Accro : Peut pas s’en passer
Acter : Faire
Addiction : Dépendance
Agir au quotidien : Ne pas remettre à demain
A minima : Au minimum
Asseoir sa position : Sauver les meubles
Assistante : Secrétaire
Au bout du bout : …bout la boue du boubou
Au final : Finalement
Au jour d'aujourd'hui : Aujourd'hui
Auxiliaire parentale : Nounou
Avoir un problème avec l'alcool : Picoler
Belle année : Bonne année
Belle personne : Mec sympa
Bémol : Inconvénient
Brainstorming : Tempête de cerveau
Bonne continuation : Encouragement à continuationner
Bout d’an : Fin ou nouvelle année
Briefer [brifé] : Faire le point
Bronchiolite : Bronchite des enfants
Burn out [ beurn-ahoute ] : Ras le bol
Bushcraft [ bouche-craft ] : Faire du feu dans la nature
Ça l'fait : Ça va
Ça l'fait pas : Ça va pas
Ça va pas l'faire : Ça va pas aller
Candidater : Postuler
Capabilité : Être cap’
Cascader (ou Ventiler) : Répartir
Challenge [ tchalènj ] : Défi
Citoyen : Geste citoyen : trier ses déchets
Clivage : Fissure (terme minéral)
Cluster [ cleusteur ] : Groupe (ex : cluster de rock)
Collaborateur d’atelier : Ouvrier
Communautarisme : Port de la burqa en France
Complotiste : Insoumis
Conf-call [ conf-col ] : Conciliabule par téléphone ou webcam
Conflit : Guerre
Consultant : Cadre supérieur retraité recyclé
Cotraitant : Sous-traitant
Cour des grands : Etape supérieure
Cousinade : Marinade de famille
Dangerosité : Danger vicieux
Dans son jus : Rustique
Deadline [ dèd- laille'n ] : Date limite
De chez : Emploi fictif
Décideur : VIP qui prend une décision
Décrypter : Analyser
Développement durable : Capitalisme
Dispatcher : Distribuer
Dommage collatéral : Massacre de Civils par l’armée
Donneur d'ordre : VIP qui veut ça (mais euh !)
Driver [ draille-vé ] : Piloter
Du coup : De ce fait
Écrasée de pomme de terre : Menu bébé pour adulte
Égalité des chances : Inégalité des capacités
Élève en progression : Cancre
En mode : En état de
En temps réel : Maintenant
Entre guillemets : Equivalence de " J'insiste sur ce point "
Épisode cévenol : Fortes pluies
Épisode méditerranéen : Bonnemère ! Y pleut !
Épisode neigeux : Chutes de neige
Erreur de casting : Ne fait pas l’affaire.
Espace : Salle, lieu public (ex : Espace caca)
Evaluation : Contrôle
Exhaustif : Complet
Faisabilité : Réalisabilité
Festif : Adjectif se rapportant à tout sauf à fête.
Flexibilité : Corvéabilité
Force de proposition : Prendre le boulot du collègue
Franco-français : Franchouillard
Gagnant-gagnant : Echange de bons procédés
Gardien d'immeuble : Concierge
Générer : Engendrer
Gens du voyage : Squatteurs
Gérer : S’occuper de (rien à voir avec la gestion)
Globalisation : Mondialisation de forme sphérique
Halluciner : Avoir la berlue
Hashtag : Dièse de réseau
Hôtel de plein air : Camping
Hôtesse de caisse : Caissière
Impacter : Toucher
Improbable et impromptu : Mots BCBG qu’affectionnent les plumitifs
Instrumentaliser : Profiter
Intergénérationnel :
Jeune zonard et vieux schnock sont dans un bateau…
Lambda :
Ordinaire (rien à voir avec la Lambada)
Leadership
[ lideurchip ] : Dirigeant dans le vent
Liker [ laille-ké ] : Doux clic du likeur
Listing : Enumérationing
Mailing [ meille-ling ] : Courriering
Mais pas que : Et Caetera
Malentendant : Sourd
Manager nom [ manadjeur ] : Chef
Manager verbe [ manadjé ] : Diriger
Management [ manadj-minte ] : Direction
Micro-ondable : Cuisable micro-ondement
Migrant : Immigré
Mouvement social : Macadam bordel
Musique contemporaine : Cacophonie
Ne pas être inintéressant : Être intéressant
Nominer : Sélectionniner
Nonimaisiallôiquoi : Shampoing pour écervelée
Non-qualité : De la merde
Non-voyant : Aveugle
Opéable : Société en solde
Open space [ opeun-spès ] : Rupture des espaces privés
Opératrice de saisie : Dactylo
Overbooké : Overdébordé
Pandémie : Psychose conditionnée justifiant des
mesures sanitaires coûteuses et inutiles.
Partenaires sociaux (au pluriel) : Syndicats
Peinture contemporaine : Barbouillage infantile
Percuter : Comprendre
Personne en situation de handicap : Handicapé
Plan B : Autre solution
Plan social : Licenciements
Plus (un) : Atout, avantage
Positiver : Contraire de négativer
Potentiel : Faculté universelle, le plus con des cons ayant un potentiel.
Pragmatisme : Mot employé à toutes les sauces
Présent sur le terrain : Là
Problématique : Problème mieux prononcé
Professeur des écoles : Instituteur d’une école
Rebondir : Répondre
Relationnel : Sociable
Relooker [ relouqué ] : Modifier l’aspect
Reporting : Réunion de synthèse
Réseaux sociaux (s’emploie au pluriel) : Sites internet sur lesquels on publie des selfies
Ressenti : Température fantaisiste
Rewamping : Remise en état
Salarié : Employé qui touche un salaire
SDF : Misérable anonyme
Sécuriser : Action qui va de la caméra de surveillance au bombardement intensif
Selfie : Forme de narcissisme qui consiste à se photographier avec son téléphone portable
Senior : Espèce d'humains bavards qui pullule dans les sites touristiques, reconnaissable à sa gloutonnerie aux buffets et à sa dépendance aux cartes à gratter.
Signal fort : Engueulade
Site : Usine
Social : Conjonction d’incoordination
Sociétal : Sociétement parlant
Soldat du feu : pompier
Solutionner : Résoudre
Sponsoring : Parrainaging
Start-up [ starteup ] : Entreprise innovante
Sur : A snob (ex : être sur Paris)
Tag : Pollution murale
Technicienne de surface : Femme de ménage, aussi appelée auxiliaire de propreté.
Textoter : Massacrer l’orthographe
Timing [ taille-ming ] : Délai
Traçabilité : Histoire du steak depuis sa naissance
Trop bon : Trop con
Tués sur la route : Expression justifiant l’installation des racketteurs automatiques
Urgence absolue : Urgence
Twitter : Faire le moineau sur internet
Valeur : Idéologie incontestable
Valoriser ses compétences : Chercher du boulot
Vapoter : Fumer du parfum
Végan : Éveil de sa vache intérieure
Vocation : But
Volontarisme : Gros caprice
Vu à la télé : Piège à cons
Y'a pas d'souci : No problem
Zéro : Chiffre rassurant (zéro papier, zéro défaut, zéro accident, zéro sucre…)
Zone sensible : Terroir de la racaille

Crédit images : wallonica.org - floreffeentransition.be (journal Marianne)

 

Dom's - 27 février 2024 à 08:30

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