Le politiquement correct m'a tuer

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Depuis l'adolescence, et plus tard, pendant toute ma carrière de rédacteur en entreprise, j'ai farouchement défendu l'humour comme vecteur essentiel à tout message, à tout support, à toute forme d'information et de communication. Je considère et considèrerai toujours que l'humour est un sens aussi indispensable que les cinq autres, la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher. C'est le sixième sens, en dépit de ce que la majorité dit être l'intuition. L'humour est une faculté qui rend ceux qui la possèdent plus spirituels que ceux qui ne l'ont pas. Ceux et celles qui n'ont pas le sens de l'humour sont pareils à des aveugles, ils sont incapables de discerner la subtilité d'un bon mot ou d'une boutade qu'ils prennent systématiquement au premier degré. Ils ne comprennent pas que ce qui est drôle tient dans la disproportion d’un fait, d’une situation, d’une personne, d’une attitude, de la même manière qu’une caricature exagère les traits d’un visage.
 

L'humour, un sens interdit

Au cours d'un repas de groupe, un boute-en-train sort sans crier gare : « Quelqu'un sait où on peut trouver du porc halal ? » Offuscation générale de la tablée. Un convive le regarde avec de pauvres yeux et lui rétorque : « Ça n'existe pas ! » Constatant que l'érudit est insensible au second degré, il ajoute, l’air malicieux : « Oh ? Pas possible ? ». Pas sûr que l’autre ait compris qu’il faisait de l’humour. Face à ce genre d'individus que sont les offusqués endémiques, il faudrait systématiquement préciser qu'on plaisante, que les Arabes, les Belges, les blondes, les homos qu'on met en boite n'existent pas, que c'est pour de faux, qu'on ne le pense pas, sans quoi ils s'empressent de vous poursuivre pour ségrégation raciale ou ethnique. Quand Johnny Hallyday, lors d'une interview, dit avec humour : « je ne pense pas être un pédé », toute la communauté homosexuelle lui tomba sur le dos. Aujourd'hui, les termes tels que pédé, goudou ou tata sont considérés comme offensants, voire humiliants. Quiconque emploie le terme de pédé, aux yeux des bien-pensants, il est forcément homophobe. Donc, interdit de raconter une histoire drôle du genre « c'est deux pédés qui papotent... » Non ! Il convient de dire « ce sont deux homosexuels qui discutent... », ou, pour répondre à la norme pudibonde du politiquement correct : « ce sont deux personnes d'orientation sexuelle différente qui échangent... » L'humour est muselé, bâillonné, parfois interdit par un commando de conformistes bien-pensants qui l'ont assassiné à petit feu. Dans sa chanson [ On peuplu rien dire ], Didier Bourdon brosse le triste tableau des lois liberticides qui ont eu raison de la libre expression en France.

Dans les années à venir, plus personne de racontera de blagues salaces et grivoises. Interdites seront les histoires de blondes, de Belges, d'Arabes, de Noirs, de bègues, de nains, de Mongoliens, coupables seront leurs narrateurs ! L'humour aura totalement disparu de la planète. Il subsistera un succédané d'humour mais ce sera un humour entre guillemets, un humour protocolaire et frileux, un humour sanitaire et propre, dépourvu de toute finesse, de tout ce qui fait la force de ce sens extraordinaire dont le monde entier sera privé et rendu aveugle par la déprogrammation méthodique du vocabulaire rabelaisien, riche, subtil et libertin. Le sens de l'humour sera devenu un sens interdit. Le seul humour qui sera toléré sera un humour politiquement correct à deux balles. L'intolérance est entrée en vigueur avec l’instauration de ce nouveau concept de pensée unique.

Le politiquement correct, c'est quoi ?

Le politiquement correct est une norme de conduite puritaine et infantile, conforme au système, norme à laquelle sont assujetties les mentalités formatées par la novlangue, toutes générations confondues. Ce code de société tend à réprouver ceux et celles qui n’y adhèrent pas et qui s’expriment librement, apparaissant de ce fait comme rebelles et insolents, y compris par leurs proches. Le politiquement correct est une attitude de tous les instants, un état d’esprit, une mentalité, un langage. Le politiquement correct est reconnaissable à son vocabulaire affecté, édulcoré, altéré, anesthésié, fliqué. Il ne s’exprime pas en français, il parle en novlangue. Comme un perroquet, il enrichit spontanément son langage des termes bon chic bon genre qu'il perçoit autour de lui, sur internet, à la télévision. Le politiquement correct ne marche jamais en dehors des clous, il adopte volontiers une expression formelle et propre, exempte de toute opinion, il est sans cesse sur la réserve, il a peur de tout. Opposé à toute forme de révolte, il est servile et obéissant, il répugne à s'engager, préférant la subordination à la révolte et à l’indignation.

La novlangue, c'est quoi ?

La novlangue, langue politiquement correcte, a supprimé les mots qui dérangent les bonnes consciences, elle a tout balayé. Plus de personnes âgées, de vieux, de vieillards, de troisième âge, de vioques, de vieilles peaux, de grabataires, de gâteux, de pépères, de mémères, de papés… place aux seniors ! Comme si, à 70 balais, on était subitement devenu sportif. Plus de problèmes mais des soucis. Plus d'inconvénients mais des bémols. Plus de clochards mais des SDF. Plus de licenciements mais des plans sociaux. Plus de cancres mais des élèves en progression. Plus de caissières mais des hôtesses de caisse. Plus d’aveugles mais des non-voyants. Plus de sourds mais des malentendants. Plus de secrétaires mais des assistantes. Plus d’instituteurs ni d’institutrices mais des professeurs des écoles. Plus de femmes de ménage mais des techniciennes de surface. Plus de débordés mais des overbookés. Plus d’immigrés mais des migrants. Plus de romanichels mais des gens du voyage. Plus de nourrices mais des auxiliaires parentales. Plus de dactylos mais des opératrices de saisie. Plus de handicapés mais des personnes en situation de handicap. Plus de Noirs ni de Magrébins mais de gens de couleur et de confession différentes. Plus de cons mais des personnes à intelligence modérée, voire des personnes en situation de connerie. Et cætera et cætera et cætera. La liste des néologismes issus de la novlangue est longue, très longue, elle évolue en permanence. Bienvenue dans le monde de George Orwell. Tous ces mots nouveaux sont destinés à modifier le véritable sens des mots qu'ils remplacent pour en atténuer l'impact sur les consciences. C'est de la manipulation mentale ou plutôt de la mouvance conceptuelle. À ajouter au dictionnaire de la novlangue, je viens de l'inventer.

Le colonel Régis Chamagne, ancien pilote de l'armée de l'air, décortique le sens caché des expressions politiquement correctes utilisées par les professionnels de la communication, par les politiques, par les médias.

 

Libre, l'expression ?

Paru en 1978, ce numéro du mensuel Fluide Glacial, dirigé par Gotlib, présentait une couverture qu’il serait impensable de voir aujourd’hui dans la vitrine d’un libraire, comme de nombreux supports humoristiques victimes de la censure instaurée par la dictature du politiquement correct.
(© Fluide Glacial - Editions Audie - Paris)

Pour estimer l’ampleur de cette glu linguistique qu'est la novlangue, de tous ces mots réducteurs qui collent au langage comme une crotte de chien malodorante colle à la semelle, il faut se tourner vers le passé, vers l’époque où la liberté d’expression n’était pas encore sous contrôle, se remémorer les grands noms des arts qui n’étaient pas politiquement corrects puisque le concept n’existait pas en leur temps. Les grandes gueules d’hier, Gabin, Blier, Marielle, Delon, Ventura, Carmet, Brassens, Ferré, Font et Val, Inconnus, et autres artistes du même tonneau, ont cédé leur place à un contingent de frileux politiquement corrects qui respectent à la lettre les scénarios à zéro pour cent de matière graveleuse.

Les acteurs et les chanteurs du passé, forts en gueule et en caractère, ne perceraient pas de nos jours s’ils étaient jeunes, soumis à l’implacable désapprobation des politiquement corrects, choquables et enclins à s’émouvoir au moindre mot tendancieux. Ces précieux ridicules sont outrés par les bandes dessinées de Reiser, de Gotlib, par le grivois capitaine Haddock et son répertoire de jurons, par Lucky Luke qui s'affiche un mégot aux lèvres, et même par Tintin, ignoble raciste dans ses aventures au Congo. Ils crieraient au scandale si la télévision et la radio diffusaient des émissions telles que Le petit rapporteur, de Jacques Martin, Droit de réponse, de Michel Polac ou encore Rien à cirer, de Laurent Ruquier. Ces émissions délicieusement satiriques étaient diffusées à une époque où les médias avaient vocation de distraire avant de devenir des instruments de propagande destinés à formater les cerveaux disponibles, crédules et manipulables à volonté.

Nous sommes au 21ème siècle, nous sommes censés être évolués et affranchis, et cependant la libre expression n’a jamais été aussi controversée, paralysée par les lois liberticides décrétées par les procéduriers politiquement corrects qui voient le mal partout. La censure est toujours très active en France, armée de ses vaillants petits soldats, zélés, castrateurs et couards, qui passent au crible toutes les formes d’expression dont la liberté est menacée en permanence. Ils interdisent d’antenne les agitateurs en paroles qui s’expriment trop librement. Les humoristes sont en première ligne. Aujourd’hui, faire de l’humour cru publiquement est devenu un délit. Si nous étions au Moyen-Âge, on trainerait les humoristes au bûcher comme des hérétiques et on brûlerait ce livre sur la place publique Dans ce contexte social où l'humour est prohibé et où la plupart des humoristes sont considérés comme des conspirationnistes, il devenait urgent d'immortaliser ces histoires interdites, ce que j'ai fait à travers un recueil de 280 pages qui rassemble 170 histoires drôles et crues pour la plupart, avant qu'elles ne sombrent définitivement dans l'oubli. Ce recueil, que j'ai intitulé MDR, est une opération de sauvetage. C'est un cas de conscience. .

Si d'aucuns s'interrogent sur le sens du titre qu'ils ne comprennent pas ou qu'ils trouvent trop succinct, MDR est l'abréviation de « Mort de Rire », sigle très populaire, répandu à travers les supports technologiques, téléphones mobiles en tête. De nombreux termes sont ainsi nés de l'usage des claviers qui ne possédaient alors qu'une douzaine de touches alphanumériques. Le nombre de caractères par message était limité, il était plus rapide et plus économique d'écrire phonétiquement de manière à réduire les mots : kdo pour cadeau, bi1 pour bien, etc. Une nouvelle forme de dactylographique se mettait en place naturellement. Ainsi naquit le vocabulaire phonétique dont MDR fait partie. Malgré l'évolution des smartphones disposant d'un clavier intégral, ce vocabulaire truffé de fautes volontaires est resté et s'est propagé partout dans un joyeux massacre de l'orthographe.

Projets de couvertures non retenues

Ceux qui n’ont pas le sens de l’humour sont souvent de dangereux procéduriers. Ils prennent l’humour pour une atteinte à l’intégrité, allant parfois jusqu’à attaquer et poursuivre un fantaisiste. Les cas sont fréquents d’humoristes régulièrement bannis, poursuivis ou interdits de radio et de télévision. Quand ils ne sont pas purement et simplement assassinés. Car, souvent, les humoristes dérangent. L’humour est un moteur très puissant qui dévoile les travers de la société, ridiculise les effets de mode qui conditionnent l’individu, tourne en dérision les discours trompeurs et autres mensonges des médias, de la publicité et des politiques, dénonce les forfaitures des puissants de ce monde. Il convient par conséquent de faire taire ces empêcheurs de mystifier par tous les moyens.

Le 7 janvier 2015, le monde entier a pu apprécier de quelle façon on pouvait mettre un terme définitif à l’humour et à la liberté d’expression en France.


Pour les ignares politiquement corrects qui ricaneraient de la faute d'accord dans ce titre, elle fait référence à l'affaire Omar Raddad en 1991. La phrase écrite en lettres de sang "Omar m'a tuer" est devenue célèbre et a fait l'objet de nombreuses parodies dont celle-ci.