Les sentinelles de Chilleurs-aux-Bois est une enquête loufoque, une « folle enquête » comme il est précisé en haut de la couverture, dont l'objet traite de déjections en masse qui empoisonnent la tranquillité d'un village. L’idée d’écrire une parodie de roman policier autour d’un enquêteur malpropre me trottait dans la tête depuis pas mal d’années. Après avoir publié quelques romans et des essais à caractère autobiographique, je me lance dans la rédaction d’une série policière humoristique.
Partant du principe qu’on peut rire de tout et que tout peut prêter à rire, la perspective d'user d'un humour gaulois offre des horizons dans l’écriture d’une fiction d’un genre qui n'est plus employé, pour ne pas dire délaissé, depuis Frédéric Dard. Avec ce livre, je remets au goût du jour une forme d’humour très populaire dans les années 70, à travers des publications telles que Pilote ou Hara-Kiri. Le lecteur n’a pas entre les mains un roman sentimental, policier, historique, de science-fiction ou d’horreur, mais une histoire drôle de 130 pages, pas plus cochonne au fond que les blagues qui circulent dans les cours de récré.
Pour cette enquête rabelaisienne, il fallait un lieu dont le nom soit de circonstance. La liste des villages français aux pancartes truculentes est longue comme le bras. De Montcuq à Anus en passant par Le Fion, de La Conne à Trécon, de La Trique à Gland en passant par Deux-Verges, j’ai écumé la France du nord au sud pour dénicher la perle rare, le patelin suprême. Le bourg que j’ai choisi est planté entre Orléans, célèbre pour sa pucelle, et Pithiviers, célèbre pour sa galette du même nom. Chilleurs-aux-Bois. Avant de découvrir cette commune en profondeur, je n’en connaissais que le nom qui m’a fait rire la première fois que je l’ai lu sur internet. Aucune moquerie, plutôt l'étonnement enthousiaste de découvrir un village au nom qui sort de l'ordinaire. C'est une chance d'habiter un de ces endroits dont le nom prête à rire, qu'on le veuille ou pas. Les habitants ont le bon goût de s'en amuser, l'autodérision permet d'avoir une longueur d'avance sur les autres. Tout le monde se souvient du reportage réalisé à Montcuq (village du Lot) par Daniel Prévost pour l'émission Le Petit Rapporteur, animée par Jacques Martin. Quelques répliques : "Je vois que vous êtes bien chauffé à la mairie, voici le fameux poêle de Montcuq" ... "Il y a une spécialité ici ? Montélimar, c'est du nougat et Montcuq, c'est du poulet ?" ... "On arrive dans une petite ruelle, Montcuq est très étroit" ... "Je n'ai pas vu l'arrêt de Montcuq". Dans cet esprit, Chilleurs-aux-Bois m’est apparu tout à fait approprié, plus qu’aucun autre et de plus, je ne pouvais espérer un nom qui soit plus en adéquation avec le contexte. J’ai tout de suite su que c’était là qu’évoluerait ce héros exubérant qui tournait en rond dans ma tête et qui n’avait qu’une envie : sortir pour se répandre de toute son infâmie. Pour sa première enquête, je ne pouvais lui trouver de meilleure atmosphère que ce village du Loiret.
[ Voir la vidéo du reportage à Montcuq ]
A la périphérie de Chilleurs-aux-Bois, sont implantés les villages d’Échilleuses, Ichy et Crottes-en-Pithiverais. (Cliquer pour agrandir)
Pour dépeindre le personnage central dont il est question dans ce livre et qui n’a de brigadier que le nom, je vais faire référence au cinéma, précisément à une scène clé d’un film d’horreur intitulé La mouche. En quelques mots, un inventeur a mis au point une machine extraordinaire qui permet de téléporter un homme d’une cabine à l’autre. Le principe est de désintégrer un corps dans la première cabine et de le régénérer dans la deuxième. Lors d’une expérience, une mouche s’introduit accidentellement dans la première cabine en même temps que l’inventeur (lui-même cobaye). L’homme et l’insecte sont désintégrés et fusionnent une fois reconstitués. Ayant subi une grave modification génétique, l’inventeur va progressivement se transformer en une abominable mouche humaine semant le malheur et la désolation dans son sillage. Imaginons maintenant que la première cabine renferme, côte à côte, le commissaire Maigret et le personnage emblématique du dessinateur Reiser, Gros Dégueulasse. On appuie sur le bouton, on attend un peu, la téléportation s’opère… La porte de la seconde cabine s’ouvre… et voilà le brigadier Pierre-Paul Demeideu, cocktail humain des plus subtils, mutant d’une espèce cradingue à souhait, une vraie mouche à merde. Porter un tel patronyme peut sembler pertinent quand on est un être immonde, grossier, cracra et d’une audace sans retenue.
Une fusion crapuleuse
Le village choisi, il me restait à y planter le décor de mon histoire. En mai 2017, je me suis rendu à Chilleurs-aux-Bois pour faire le repérage, à la fois photographique et verbal. A ce titre, j’ai préalablement contacté la mairie dans l’espoir de rencontrer un ou deux habitants susceptibles de me faire part de leur témoignage sur le passé du village afin d'apporter une consistance made in Chilleurs au récit. Rien n’est en effet plus précieux que des propos recueillis sur place, comme du vrai lait de vache acheté directement à la ferme. Je n'ai jamais caché que le thème de mon roman porterait sur une forme d'humour un peu scabreuse et que c'est précisément le nom du village qui a orienté cette histoire.
Je remercie Evelyne Deniau, élue à la Communication à la mairie de Chilleurs-aux-Bois, d’avoir favorisé mon approche en mettant quelques contacts à ma disposition et d’avoir, par la suite, annoncé mon projet dans le bulletin municipal. Je remercie André Sailleau et André Charron, deux retraités de Chilleurs-aux-Bois, pour m’avoir confié de précieuses indications sur l’histoire de la commune. Elles m’ont été très utiles pour étoffer les passages relatifs au passé du château de Chamerolles. Je remercie Didier Thomas, mon hôte à Martinatrap, pour ses conseils à travers l’échange quotidien de fin de journée. Je remercie Jean-François Bareth, garde champêtre à Lambesc (Bouches-du-Rhône) pour avoir illustré les facettes de sa fonction car il y a un garde champêtre dans l'histoire.
Dominique Masselot, André Sailleau, Evelyne Deniau
Au fil de ces témoignages, j’ai appris que dans les années 40, au village, existait une épicerie rustique installée dans la pièce d’une maison de rue, elle était tenue par une femme que les villageois appelaient la Mère Toli, devenue la Mère Dolly dans l’histoire, ce qui donne lieu à un savoureux quiproquo. Sur les terres du château de Chamerolles est implanté un lotissement constitué de bungalows, qui remonte aux années 70. C’était une villégiature réservée aux Parisiens. Comme je l’ai appris à travers les témoignages, cet endroit a servi d’asile aux réfugiés chiliens pendant le coup d’état. Tous ces détails sont relatés dans le roman, entre deux sentinelles. Vous aurez compris que le titre du livre presente un synonyme plus élégant au terme déjection.
J’ai également recueilli d’autres anecdotes dont je ne me suis pas servi, je les retrace néanmoins sur cette page pour leur intérêt historique.
« En 1850, on se chauffait beaucoup au charbon de bois, raconte André Sailleau. Il y avait beaucoup de charbonniers. Ils s'habillaient avec des feuillages dans la semaine et ne mettaient des habits que le dimanche. Pour obtenir le charbon de bois, ils empilaient le bois en laissant une cheminée au milieu, un empilement assez grand, ils recouvraient de terre pour que ça étouffe, ils surveillaient jour et nuit pour pas que le feu prenne trop rapidement. Dans toute la forêt d'Orléans, il y a eu des charbonniers jusque dans les années 60. »
« Aujourd’hui, à Chilleurs, on vit beaucoup moins d’agriculture qu’autrefois, relate André Charron (ci-contre) . Il y avait une centaine d’agriculteurs en 1914, on est passé à une dizaine. Il y a eu un premier départ au moment de la guerre de 14. Les gens étaient obligés de se mécaniser, d’acheter des moissonneuses lieuses qui venaient des Etats-Unis. Au lieu de faucher à la faux, ils fauchaient à la machine, ça a déjà supprimé du monde. Le gros boum a été les années 60 avec une motorisation à 100 %. »
Il poursuit : « A Chilleurs-aux-bois il y a 2500 hectares en forêts et 2500 en terres. Au 19ème siècle, on vivait de la forêt, on a toujours vécu de la forêt pour le bois de chauffage, on envoyait des animaux paître dans la forêt. Il y avait six pâtres qui emmenaient les animaux de chaque hameau, c’était des vaches, des moutons et même des porcs pour le droit de glander. George Sand raconte que les diligences étaient souvent attaquées par des brigands. Quand on les attrapait, on les pendait le long de la route qui va à Orléans, elle existait du temps des Gaulois, avant l’occupation romaine. »
Chilleurs-aux-Bois est un village agréable, riche de son passé, je n’en ai vu qu’un aspect sur le peu de temps que j’y ai séjourné mais c’était suffisant pour me faire une idée aussi précise que possible du décor. Plusieurs points ont particulièrement retenu mon attention, le château de Chamerolles, le restaurant A la tête de veau, le parc de la Cour Gauthier, l’étang de la Rouche. Ils sont mentionnés dans l’histoire. Le livre fermé, l'enquête salace s'évapore avec ses sentinelles. Il reste le décor d'une paisible commune du Loiret, plantée entre forêts et terres agricoles, qui me laisse un bon souvenir. En écrivant ce livre, je n'ai obéi qu'au seul désir de faire rire. Faire rire mon lecteur, ma lectrice, à travers un clown au comportement démesuré. Avec tout le respect que je dois à Chilleurs-aux-Bois et à ses habitants.
MD
Château de Chamerolles, la chambre signeuriale et son coffre d'aisance
Château de Chamerolles, l'orgue à parfums
Château de Chamerolles, le tableau Suzanne au bain et les vieillards
L'entrée du domaine de Chamerolles